Faut-il greffer le cerveau de son prof de philo dans la boîte crânienne de son collègue de sport ?
Vérifiez d'abord que vous avez affaire à un corps et à un cerveau qui se méritent respectivement. Et puis si l'envie vous prend avec insistance,différez un peu sa réalisation, car la technique ne paraît pas encore trèsau point. Vous risqueriez d'obtenir un monstre : corps de philosophe et cerveau de sportif, ou corps de sportif et cerveau de philosophe. À éviter... Mais sans nul doute un jour viendra où ce genre de performance ne posera aucun problème pratique. On dépassera la greffe de cellules nerveuses, de tissus cérébraux pour envisager en toute sérénité la greffe d'encéphale. D'où, vous vous en doutez, une remise en question considérable de ce qui définit l'être, l'identité, la personnalité, la mémoire, la subjectivité, etc.
Pour l'instant on compose avec son corps ou avec son cerveau.
Question : la possibilité technique de réaliser une pareille transplantation oblige-t-elle à sa réalisation effective ? La seule faisabilité technologique donne-t-elle la mesure du faisable et de l'infaisable ? Ou bien y a-t-il d'autres critères qui limitent et contiennent les pouvoirs de la technique ?
La morale, l'éthique, les valeurs, le sens du bien et du mal, parexemple ? Le problème se pose de plus en plus car le génie génétique
effectue des progrès considérables et prend de vitesse toute réflexion : à peine imagine-t-on une possibilité scientifique qu'elle est déjà réalisée etqu'il faut penser à posteriori — ainsi du clonage animal, puis de certaines cellules humaines transplantées dans l'animal, ou l'inverse.
Après les humains cochons, les cochons humains ?
Avec le séquençage du génome humain (la lecture des informations contenues dans le noyau d'une cellule et qui vous déterminent physiologiquement),on aborde un nouveau continent. Y compris sur le terrain de la morale. Les possibilités techniques de la biologie moléculaire donnent aujourd'hui le vertige : on peut cloner, bien sûr , mais aussi, avec les techniques de procréation assistées, congeler le sperme, inséminer une femme avec les spermatozoïdes de son grand-père, vivant ou mort,une fille peut porter pour sa mère un œuf fabriqué avec le sperme d'un géniteur décédé — son père par exemple... Le lignage, la famille classique, les barrières habituelles entre la vie et la mort, le géniteur et sa progéniture, l'endogamie (choix du partenaire dans la famille) et l'exogamie (choix hors de la famille) explosent intégralement.Désormais, on pulvérise les barrières qui séparent le règne végétal,animal et l'humain : on peut prélever dans l'ADN (acide désoxyribonuléique, l'acide du codage d'une cellule, dans laquelle se trouvent toutes les informations sur son identité) d'un ver luisant ce qui correspond à sa brillance, le fixer dans la cellule d'une plante qui devient soudain lumineuse et phosphorescente ; on sait également procéder aux manipulaons pour fabriquer du sang avec des végétaux ; on produit aussi des tomomates résistantes au gel en incorporant dans leur programme généque les données à l'aide desquelles les poissons des mers froides supportent le gel. Les spécialistes en plantes et ceux qui s'occupent des animaux travaillent sans filet éthique : pour l'instant, personne ne se plaint du mélange des genres végétal et animal.
En revanche, dès qu'on aborde le mélange de l'animal et de l'humain, les problèmes éthiques surgissent.Techniquement, on sait demander à une souris de développer un organe humain sur son corps, une oreille d'homme par exemple, on peut aussi fabriquer des porcs à la peau, au sang ou à certains organes d'une totale compatibilité avec l'homme parce que programmés avec de l'ADN humain. Jusqu'où aller ?
Pourquoi ne pas fabriquer un être associant le singe et l'homme ? Intelligent comme un humain, robuste comme un animal, que serait cet individu monstrueux : un animal humain ou un humain animal ? une bête à traiter comme telle ou un homme avec les obligations éthiques que cela suppose ? Faut-il laisser faire la technique dans les domaines biologiques et réfléchir, le moment venu, devant l'objet produit, le monstre réalisé, la chimère en chair et en os ?
Les possibilités de la technique médicale, ses limites aussi, supposent une morale. L'emballement de la science, de la recherche, des laboratoires ne peut être laissé au hasard sans bornes fixées à ces jeux dangereux. Car la technique, sur le terrain du génie génétique, installe de faitle chercheur dans la peau de l'apprenti sorcier : il déclenche un formidable mouvement, monstrueux,immense,magnifique, sans plus savoir de quelle manière arrêter sa production au point que sa créature de départ le déborde, le dépasse, le prend de vitesse. Dans cette logique prométhéenne (Prométhée, l'inventeur-voleur du feu à Zeus dans l'Antiquité grecque, passe pour le patron de la pensée prévoyante, donc de la technique), seule une réflexion morale permet de contrôler et de maîtriser les événements.
Annexus:
Prométhée dans la Mythologie greque: Personnage de la race des Titans, l'initiateur de la première civilisation humaine. Il déroba le feu du ciel et le transmit aux hommes. Zeus, pour le punir, l'enchaîna sur le Caucase, où un aigle lui rongeait le foie, qui repoussait sans cesse.
Héraclès le délivra. Le mythe de Prométhée a inspiré de nombreuses œuvres picturales et littéraires.